Assurance responsabilité civile professionnelle : les prix s’envolent, les entreprises s’inquiètent

Dans un contexte économique tendu, le marché de l’assurance responsabilité civile professionnelle connaît une hausse significative des tarifs. Cette tendance, qui s’accentue depuis plusieurs années, soulève de nombreuses inquiétudes chez les professionnels et les entreprises. Décryptage d’un phénomène qui bouleverse le paysage assurantiel français.
Une augmentation constante des primes d’assurance
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon les données de la Fédération Française de l’Assurance (FFA), les primes d’assurance responsabilité civile professionnelle ont augmenté en moyenne de 15% par an depuis 2018. Cette hausse spectaculaire s’explique par plusieurs facteurs. Tout d’abord, l’augmentation du nombre de sinistres déclarés, notamment dans certains secteurs d’activité comme le bâtiment ou les professions juridiques. « Nous observons une judiciarisation croissante de la société, qui se traduit par une multiplication des recours en responsabilité », explique Jean-Marc Durand, expert en assurance chez Deloitte.
Par ailleurs, le coût moyen des sinistres a lui aussi connu une forte progression. Les indemnisations versées aux victimes sont de plus en plus élevées, ce qui pèse lourdement sur les comptes des assureurs. « Entre 2015 et 2020, le montant moyen des indemnisations a augmenté de 30% », précise Sophie Beuvaden, directrice des risques chez AXA France.
Des disparités sectorielles marquées
Si la tendance à la hausse des prix est générale, certains secteurs sont plus touchés que d’autres. Les professions médicales, par exemple, font face à des augmentations particulièrement importantes. Un chirurgien-dentiste voit ainsi sa prime annuelle passer de 900 euros en moyenne en 2015 à plus de 1500 euros en 2021, soit une hausse de près de 70% en six ans. Les architectes et les experts-comptables sont également confrontés à des augmentations significatives.
À l’inverse, d’autres secteurs comme l’informatique ou le conseil connaissent des hausses plus modérées. « Les risques liés à ces activités sont perçus comme moins importants par les assureurs, ce qui se traduit par des évolutions tarifaires moins marquées », analyse Pierre Leblanc, consultant chez McKinsey.
L’impact sur les entreprises et les professionnels
Face à cette flambée des prix, de nombreuses entreprises et professionnels se retrouvent en difficulté. Certains sont contraints de réduire leur couverture, prenant ainsi le risque de se retrouver insuffisamment assurés en cas de sinistre. D’autres choisissent de ne pas s’assurer du tout, s’exposant à des risques financiers considérables. « Nous estimons qu’environ 15% des TPE et PME françaises ne sont pas correctement assurées en responsabilité civile professionnelle », s’alarme François Nédey, président de la commission assurance de dommages et de responsabilité de la FFA.
Pour les grandes entreprises, la situation n’est guère plus favorable. Elles doivent faire face à des augmentations importantes de leur budget assurance, ce qui pèse sur leur compétitivité. « Pour certains groupes, le coût de l’assurance responsabilité civile professionnelle peut représenter jusqu’à 2% du chiffre d’affaires », souligne Marie Duval, directrice des risques chez Bouygues Construction.
Les stratégies d’adaptation des assureurs
Face à cette situation, les compagnies d’assurance ne restent pas inactives. Beaucoup cherchent à optimiser leur gestion des risques pour limiter la hausse des tarifs. « Nous investissons massivement dans l’intelligence artificielle et le big data pour mieux évaluer les risques et personnaliser nos offres », explique Thomas Buberl, directeur général d’AXA.
D’autres assureurs misent sur la prévention. Des programmes de formation et d’accompagnement sont proposés aux entreprises assurées pour réduire les risques d’accidents ou d’erreurs professionnelles. « Notre objectif est de créer un cercle vertueux : moins de sinistres, c’est moins de coûts pour l’assureur et donc des primes plus stables pour nos clients », affirme Florence Lustman, présidente de la FFA.
Vers une régulation du marché ?
Face à l’inquiétude grandissante des professionnels et des entreprises, les pouvoirs publics commencent à s’intéresser de près à la question. Le ministère de l’Économie et des Finances a lancé une mission d’information sur le sujet, dont les conclusions sont attendues pour la fin de l’année. « Nous étudions toutes les pistes pour garantir un accès équitable à l’assurance responsabilité civile professionnelle », déclare Bruno Le Maire, ministre de l’Économie.
Parmi les options envisagées figure la création d’un fonds de garantie, sur le modèle de ce qui existe déjà pour l’assurance automobile. Une autre piste serait de renforcer la transparence sur les tarifs pratiqués par les assureurs. « Nous plaidons pour la mise en place d’un observatoire des prix de l’assurance responsabilité civile professionnelle », indique Jean-Luc Flabeau, président de l’Ordre des experts-comptables.
La hausse continue des prix de l’assurance responsabilité civile professionnelle constitue un défi majeur pour de nombreux acteurs économiques. Entre nécessité de se protéger et difficulté à assumer des coûts toujours plus élevés, entreprises et professionnels se trouvent dans une situation délicate. Les évolutions à venir du marché et les éventuelles interventions des pouvoirs publics seront déterminantes pour l’avenir de ce secteur crucial de l’assurance.